Robert, mon père


J’ai longtemps pensé qu’il me serait impossible d’écrire quoi que ce soit à propos de mon père.

Trop de colère, d’incompréhension réciproque, de gâchis. Et le sentiment pourtant qu’il y a davantage, de l’admiration réciproque parfois, de la complicité comme autant d’instants de grâce, et de l’amour peut-être.

Robert est né en 1921. Son père est mort quand il avait 13 ans. Des cartes postales envoyées du père hospitalisé à son fils témoignent de son affection. J’ai connu sa mère, Jeanne, que j’ai toujours jugée stupide et méchante, deux qualités qui vont souvent de pair.

A 3 ans, Robert faisait rire les clients du café-montant de sa grand-mère en se hissant sur le comptoir pour boire la bière à la pression. Une longue vie d’alcoolique commençait.

Robert était bon élève. Il a obtenu le Certificat d’Études Primaires à 11 ans. Il voulait travailler, aller à l’usine, être un homme.

Il est beau garçon, beau parleur, accordéoniste et il aime les femmes qui le lui rendent bien. Il est le chouchou des dames du café-montant. Il a d’ailleurs une jeune femme qui travaille pour lui sur un trottoir de La Madeleine.

A 17 ans, il rencontre Eugénie au bal musette, très en vogue à l’époque. Elle a 22 ans et n’a jamais eu d’amoureux. Elle est pieuse et l’oblige à ne plus être proxénète.

Quelques mois plus tard, elle est enceinte. Nous sommes en septembre 1939. La 2ème guerre mondiale commence. Ils se marient. Mon frère aîné, Robert, naît en décembre 1939. Est-ce la déclaration de guerre qui les a poussés au mariage à 6 mois d’une grossesse que je présume non désirée ? Je ne l’ai jamais demandé.

Je sais que la famille de Robert est opposée au mariage. La majorité est à 21 ans et il faut l’autorisation de sa mère. Plutôt comique qu’une famille qui exploite un bordel juge Eugénie comme « une fille perdue » !

La tante paternelle de Robert, qui est religieuse, ne trouve rien à redire aux activités d’exploitation des femmes ; « Il faut comprendre, les hommes ont des besoins et les épouses ne savent pas toujours les satisfaire ; Les épouses, ça ne les intéresse plus quand elles ont des enfants. Les filles de joies, on peut pas les empêcher, elle ont le diable dans le sang, c’est de l’argent facile et puis ça évite les adultères. »

En revanche, épouser une femme plus âgée de 5 ans, enceinte par dessus le marché, ce serait un scandale ! » 

Ah ! la charité chrétienne…

En épousant Eugénie, Robert renonçait à reprendre l’affaire familiale de commerce des femmes, je pense que cela a pesé davantage dans l’opposition de sa famille que de quelconques considérations morales.

Le 13 avril 1946, la loi Marthe Richard impose la fermeture des maisons closes dans toute la France (300 maisons rien qu’à Paris).

J’invite à faire la connaissance de cette femme aux multiples facettes : prostituée à 16 ans ; aviatrice (6ème femme française à obtenir le brevet de pilotage) ; espionne, elle recevra la Légion d’Honneur pour « Services signalés rendus aux intérêts français » ; et, enfin, femme politique. Respect.


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