Eugénie, alias Nini, ma maman


L’origine, le pivot, le cœur de tout ça, c’est Eugénie, ma mère.

Elle est née en septembre 1917, à Paris. L’acte de naissance ne le précise pas mais elle est née dans une station de métro, et un soldat présent sur le quai a prêté son manteau -sa capotte comme disait ma mère- pour l’envelopper, le temps que ma grand-mère aille chercher du linge.

Ce contact précoce avec des puces, poux de tête et poux de corps est sûrement la cause de son immense amour des animaux en tout genre, sauf les araignées, faut pas exagérer quand même !

Les animaux les plus laids, les estropiés, les boiteux étaient ses préférés. Elle savait réparer les pattes cassées des oiseaux en fabriquant des attelles avec des morceaux d’allumettes et des lambeaux de gaze enduits de quelques gouttes de plâtre.

Après déplâtrage, l’oiseau était relâché. Il s’éloignait en boitillant puis s’envolait et nous l’encouragions avec nos cris de joie. Quel beau jeudi après-midi !-pas d’école le jeudi dans les années 1960.

D’autres oiseaux était au centre de l’attention les mercredis d’hiver. On les appelait des mouchons -moineaux en patois du Nord.

Mon père ou mon frère fabriquaient des pièges, sorte de tamis soutenus sur un côté par un bout de bois relié à une ficelle qui courrait jusqu’à la fenêtre entrebâillée.

Je les aidais en leur passant le marteau, les clous ou la ficelle.

Quelques grains de blés ou de petits morceaux de pain attiraient les oiseaux et lorsqu’ils étaient sous le tamis, bien au centre, il fallait tirer la ficelle d’un coup sec pour capturer l’oiseau. Le plus souvent, l’oiseau déjouait la manœuvre.

Mais quand l’un d’entre eux se faisait prendre, seule ma mère avait la responsabilité de le sortir de là. Elle lui parlait, lui demandait pardon et savait le toucher et l’empaumer avec une telle douceur que l’oiseau se laissait prendre sans s’affoler.

Nous allions alors en cortège le lâcher dans la volière ou il allait vivre quelques jours avec les autres oiseaux que nous avions piégés, les éclopés en convalescence et les trop vieux ou trop malades pour survivre en liberté. Chaque oiseau capturé était admiré, affublé d’un nom et faisait l’objet de recherches approfondies pour connaître son espèce, sa nourriture, son caractère.

Avant Internet, n’ayant pas de livres à la maison et ne fréquentant pas la bibliothèque, dont j’ignorais l’existence à l’époque, la recherche pour moi était simple : mon frère Edouard savait, ou maman savait, ou bien papa saurait le soir en rentrant du travail.

Une fois la curiosité rassasiée, l’oiseau était relâché, encouragé par les mêmes cris de joie que si nous lui avions sauvé la vie !

J’ai ainsi appris à reconnaître le moineau, le pinson, les mésanges, le merle, l’étourneau et les perruches.

je rêvais de capturer un jour un oiseau migrateur sans savoir à quoi cela pouvait bien ressembler. J’avais sans doute entendu le mot et il me faisait rêver.

Plus tard, j’ai appris que le canard était un migrateur. Or « canard » était mon surnom dans la famille. Prémonitoire sans doute ? Mes migrations furent davantage sociales que géographiques, mais quoi qu’il en soit, je considère le canard comme mon animal totem.

Et c’est aussi le meilleur anti-dépresseur du monde : qui a déjà réussi à être triste ou même seulement à garder son sérieux en regardant un canard clopiner sur terre, la queue battant de gauche à droite et entamant la conversation d’un « coin coin coin coin » sonore et satisfait ?

Comique ? Ridicule ? Ah non ! Le canard est sympathique en diable, c’est un maître, un gourou en matière de carpe diem.

Et quand il vole, puissant et majestueux, il cloue le bec à ses minables détracteurs.

Sur l’eau il est le maître absolu. Efficace, élégant, la grande classe.

La référence à Saturnin est ici obligatoire : caneton d’un feuilleton télévisé de mon enfance que je suivais assidûment et, surtout, MON Saturnin ! Sosie du héros télévisé, ramené de vacances dans les Vosges, l’année de mes 10 ans. Le trajet Gerardmer-Lille par les routes de l’époque durait longtemps.

Nous étions 5 dans une petite Dauphine Renault, et moi au milieu de la banquette arrière avec sur les genoux : Une grande tarte au myrtilles offerte par nos logeurs posée sur un carton et enveloppée d’un torchon, avec, par dessus, un petit carton contenant Saturnin, un caneton tout jaune.

Le trajet, dans la chaleur d’une fin d’août, sans climatisation, le jus des myrtilles coulant sur mes cuisses puis sur la banquette, le caneton se couvrant petit à petit de ses excréments puants dans son emballage, et mon frère à ma droite et ma sœur à ma gauche se disputant sans arrêt par dessus ma tête, sans un mot, à coup de baffes et de cheveux tirés, OMG !

Bref, je ne plaisante jamais quand il est question de canard.


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