Berthe, grand-mère maternelle


J’ai des photos des enfants d’Eugénie 1ère : Désiré et Berthe, ma grand-mère maternelle.

Berthe n’est jamais allée à l’école. Très jeune, elle a appris à coudre avec sa mère, Eugénie 1ère .

Le textile industriel est alors en plein essor dans la région lilloise et Berthe entre à l’usine comme bobineuse, chez les Motte, l’une des grandes familles du textile du Nord.

Aux environs de 1912 ou 1913… elle se marie avec un ouvrier de son usine, André HOFMAN.

La guerre de 14/18 éclate et André est mobilisé. Il est inscrit mort au combat en août 1916, à Maurepas dans la Somme, plus de 9 mois avant la naissance ma mère.

Erreur de retranscription des actes de décès par l’armée ?

Il est probable que André Hofman ne soit pas mon grand -père. Aucune photo de lui, aucun document, ma mère m’a seulement dit qu’elle avait été conçue au cours d’une permission, comme son frère et sa sœur, et que son père était mort avant sa naissance.

La date de la bataille de Maurepas contredit cette version. Ça sent le « secret de famille à plein nez : on ne plaisantait pas sur les sujets de filiation au siècle passé et tous les enfants nés pendant le mariage étaient présumés du mari et enregistrés comme tels ; il n’existe pas de test ADN à l’époque.

Et donc, même si André Hofman est mort en 1916, son décès n’a été retranscrit par l’armée qu’en 1918, et donc ma mère a été inscrite enfant légitime au livret de famille et à ce titre reconnue comme pupille de la nation.

En tous cas, André Hofman n’a pas laissé un souvenir impérissable : pas de culte devant la photo du soldat mort au combat… plutôt l’évocation d’un homme qui rentrait en permission chaque année et engrossait sa légitime.

J’ai trouvé sur le site « Mémoire des Hommes » la page de son livret militaire, et les coordonnées de sa tombe à Maurepas. Je n’y suis pas allée.

Trois enfants vont naître de cette union :

André Hofman Fils, vers 1913, l’aîné. Ma mère l’aimait bien et me disait que son frère défendait la famille autant qu’il le pouvait car, sans homme adulte à la maison, après la guerre, il était difficile de difficile de s’appeler Hofman dans une famille de 4 femmes.

La sœur de ma mère, née vers 1915, et dont j’ai oubli le prénom, et dont j’ai déjà évoqué la « méningite cérébrospinale », qui la rendait même à l’âge adulte hyperactive, hyper-agressive et plus que limitée intellectuellement… Ma mère me racontait la violence inouïe de sa sœur envers elle, elle avait intérêt à se cacher…

Et enfin, troisième enfant, Eugénie 2, ma mère, née le 26 septembre 1917, dans une station de métro, Paris Vème. J’aime à croire que ma mère est une « bâtarde de père inconnu ». Tout d’abord, quand je compare ses photos à celles de « sa famille », Ensuite quand je compare son cheminement intellectuel et spirituel, Enfin, quand j’évoque la mère qu’elle a été.

Cela traduit peut-être de ma part un fantasme de déterminisme génétique hors filiation connue, qui justifierait mes transgressions ???

Ce qui vient complètement à l’encontre de mes connaissances sociologiques, mais quand la grande Histoire croise nos histoires personnelles et familiales, le paradoxe, les contradictions s’épanouissent, pour le plus grand profit des psy 😊

Une « anecdote » pour terminer :

Durant la guerre 40, Berthe ma grand-mère travaillait à la manufacture des tabacs (la SEITA) à Lille-Fives. Un poste « en or », semi-fonctionnaire, sécurité de l’emploi, etc. !

Mon père Robert (évadé du STO) lui a demandé avec insistance de lui sortir du tabac de la manufacture. Robert revendait le tabac, denrée précieuse en temps de guerre et Robert ne touchait pas de bons d’alimentation.

Berthe l’a fait. Robert l’avait eu à l’usure… Elle s’est fait choper un jour au contrôle de sortie, elle a été virée, sans indemnités, et sans pouvoir ensuite faire valoir ces 20 années pour sa retraite, qu’elle a vécu dans la misère.

Robert n’a plus jamais permis à ma mère de revoir sa mère qui n’est jamais venue à la maison… je l’ai vue une seule fois, lorsque j’ai emmené Nini ma mère, sur les chemins de la transgression…

Je ne sais pas quand Berthe, ma grand-mère, est décédée, mais Nini a réussi à savoir où sa mère était enterrée, cimetière de l’Est à Lille. Nous y sommes allées ensemble ; Nous avons fleuri la tombe en terre battue.

Et j’ai creusé la terre, à l’insu de ma mère, pour y enterrer une médaille que j’avais toujours dans ma poche depuis plusieurs mois : médaille d’argent d’une compétition de gymnastique que j’avais disputée.

Ma mère m’a ensuite à plusieurs reprises reproché d’avoir perdu cette médaille (en vrai argent parait-il !).

Je n’ai jamais dit à ma mère ce que j’avais fait de cette médaille dont elle était si fière pour moi. Je le regrette profondément car j’ai raté l’occasion de renforcer un lien et surtout de lui permettre de comprendre l’énigme que je représentais à ses yeux par moment.

La médaille a dû enrichir la collection mortuaire de l’employé du cimetière lorsque la concession est venue à expiration…


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *